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Les couleurs du pass (extraits du Tome II, paratre)
C'tait au tout dbut de ce que nos historiens continuent pudiquement appeler les vnements d'Algrie que Mustapha Tessnaoui tait arriv en France avec sa famille.
Son Fils aine Mohamed avait quatorze ans et le pre Tessnaoui l'avait immdiatement fait entrer comme apprenti mineur l'cole des mines des Houillres du Bassin de Lorraine du puits Simon. Le premier contact de l'adolescent avec la cit de la "Ferme" ft rude pour ce jeune Kabyle filiforme habitu vivre sous un climat et un dcor totalement diffrents. Il tait originaire d'une rgion de montagnes dsertiques faite de sable et de rochers brls par le soleil. Ce pays de Lorraine la vgtation luxuriante et verte tait pour lui une plante nouvelle qu'il dcouvrait chaque jour un peu plus. Tout tait diffrent ici. Dans ce pays de cocagne poussaient des mirabelles, des cerises et des prunes avec lesquels les paysans faisaient un liquide qu'ils appelaient du "Schnaps". Chez lui, au pays, la religion interdisait l'alcool sous toutes ses formes et il tait inconcevable qu'on puisse vivre ainsi dans le pch et sans la crainte du chtiment d'Allah. Dans son jardin rocailleux, l'ore du dsert, ne poussaient que quelques palmiers et deux ou trois figuiers qui ne payaient pas de mine. Il ft tout tonn quand il vit que les familles Lorraines levaient le cochon pour en faire du jambon et des saucisses, dans son pays c'tait un animal impur que la religion condamnait galement avec fermet. Il n'avait jamais vu de vaches ni de lapins mais connaissait tout sur les chvres les moutons que les paysans Kabyles levaient dans son village.
Mohamed se sentait totalement dsempar. Lui qui courait encore sur les sentiers dfoncs des montagnes de Kabylie il y a quelques semaines tait soudain catapult dans une trange cole o on allait lui apprendre vivre sous terre comme un animal.
Il n'aurait jamais imagin que des hommes blancs de peau, au visage noirci par la poussire, vtus d'un uniforme et d'un casque puissent grouiller tels des cafards gants dans les entrailles de la terre, une lampe bizarre allume sur la tte...
Il connaissait les hommes bleus, ces Berbres nomades qui vivaient dans le dsert d'Afrique du Nord. Par contre, Mohamed n'avait jamais entendu parler des hommes noirs de France qui descendaient tous les jours dans de profondes galeries pour y casser d'normes blocs de cette matire noire et luisante qu'ils appelaient charbon... A l'cole des mines, la premire fois qu'il vit une quipe de mineurs sortir de la cage il et un mouvement de recul. Mohamed avait peur... Pourquoi lui avait-on vol cette jeunesse insouciante sous le chaud soleil de l'Algrie et pourquoi fallait-il qu'il vienne dans ce monde trange fait de tours d'acier et de rails qui menaient nulle part ? Il ne connaissait personne ici et n'avait pas d'amis qui confier sa dtresse. Les seuls arabes qu'il avait reprs habitaient dans les premires baraques en bas de la cit mais le pre Tessnaoui lui avait formellement interdit tout contact avec eux sous peine de graves reprsailles... Mohamed avait compris un peu plus tard que la raison de cette mfiance tait "politique" et il n'avait pas insist. Son pre tait arriv quelques mois avant eux et avait investi ses conomies dans une petite affaire de commerce de vtement sur les marchs de la rgion. Bel homme de stature imposante, charmeur, poli avec sa clientle, en gnral fminine, Ali Tessnaoui avait su gagner leur confiance et s'tait rapidement fait une rputation d'excellent homme d'affaire. Dans le priv, c'tait un personnage totalement diffrent. Il passait son temps dominer sa famille et perscutait avec un plaisir vident le pauvre Mohamed. Il voulait en faire un homme et exigeait de lui une obissance aveugle et une soumission totale.
Mohamed tait trait en paria dans sa propre famille, il n'avait aucune place dans la communaut et vivait l'cart de ses frres et soeurs. Son pre lui avait install un vieux matelas dans ce local de quelques mtres carrs qui sparait en deux les baraques et que les gens de la cit appelaient "le cagibi". Certains y levaient des lapins, d'autres y stockaient l'outillage, les provisions ou y distillaient du schnaps. Chez les Tessnaoui, on y avait install le fils indigne Mohamed qui acceptait sans broncher le traitement dgradant que son pre lui infligeait sans jamais se plaindre de son sort. Il n'avait d'ailleurs pas intrt se plaindre, la moindre rflexion, le pre Tessnaoui lui aurait tout bonnement fracass sur la tte la seule chaise qui meublait le cagibi. Mais rien ne peut arrter le cours de l'histoire. Le destin de Mohamed Tessnaoui tait de devenir mineur et il allait apprendre ce dur mtier et descendre avec ses camarades au fond de ces puits de mine qu'il ne connaissait pas encore... Inch Allah !
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